Les grandes peurs

EXTRAIT  DE L' ILLUSTRATION   DU  4  MAI  1843

« Le signal du départ est donné ; voilà que ma locomotive nous emporte vers un point qui fait frémir d'avance bien des intrépides .
Il s'agit de s'engouffrer au sein des ténèbres , de rester pendant trois quarts de lieus dans l'obscurité la plus complète ; Il s'agit tout simplement de percer une montagne , de quitter la Seine à Robelloise et de la retrouver à Bonnières .
Quatre minutes au plus cependant ,comme les cœurs ont battu pendant ces quatre minutes .Avançait-on? On le supposait .Allait-on vite ou doucement ?Le convoi allait-il dérailler ? N'avait-on pas dit adieu pour toujours à ceux qu'on aimait ?
Anxiétés terribles , difficultés insolubles , supplice inénarrable!
Oh ! Rendez-nous la lumière et les campagnes ,et le silence des bois , et la fraîcheur de l'eau !
Ce bruit de locomotive haletante , ces chaînes qui se heurtent la nuit , ce sifflet infernal qui prévient ,dit-on , du danger ,tout cela est affreux à entendre quand on ne peut pas le voir! »

Le train faisait peur en ce milieu de 19 ème siècle .
On craignait les fluxions de poitrine ou la tuberculose en raison de la vitesse  , Le décollement de la rétine à cause du défilement trop rapide des paysages , les maladies nerveuses voir l'épilepsie due aux bruits  et aux trépidations  du train .
Louis Arago craignait que le transport en train  n'effémine les troupes .
On craignait également les changements de régime culinaire  entre le nord et le sud .
Certains pensaient que cela ferait tourner le lait des vaches ou nuirait à l'agriculture  avec ce monstre d'acier crachant son épaisse fumée noire !

A l' heure qu'il est , tu t'inquiètes peut-être , tu te demandes si je suis arrivé à bon port , si ce premier essai en chemin de fer s'est fait sans accident , si l'on ne va pas revenir pour t'annoncer quelque  EFFROYABLE CATASTROPHE .
On ne peut rien imaginer de plus bizarre que les procédés par lesquels on arrive à placer une diligence sur des rails .
Il n'y a rien de plus sauvage , de plus digne d'un siècle de barbarie que ces chemins de fer qui ne respectent aucune des choses les plus belles , ni vallées , ni montagnes , ni rivières …. Et qui s'en vont tout droit  , toujours noirs , en sorte que notre beau pays de Rouen à Paris devient le plus monotone et le plus grisâtre du monde …..

Lettre du 16 . 08 . 1843 .  De F.Ozanam à sa femme .

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