Par M. De Martonne (1823)

Douze cents ans nous séparent de l'époque où la bonne reine qui gagna la France à la foi catholique , alla recevoir dans le ciel la récompense de ses œuvres ,et douze siècles n'ont pu effacer le souvenir de ce grand événement ,de la pieuse reconnaissance des habitants de la haute Normandie .
Aussi ,cet anniversaire amena-t-il toujours une foule de malades désespérés  , au lieu où Clotilde étancha la soif des ouvriers qui élevaient pour elle un temple au seigneur.
Pendant huit à dix ans , le gouvernement révolutionnaire avait fait couvrir d'une large pierre l'eau miraculeuse de la fontaine , et les pèlerins , malgré les autorités du temps , venaient encore s'agenouiller sur cette pierre et demander à la patronne de la Neustrie sa puissante intercession.
D'autres temps sont venus….
Il est six heures du matin , et les premiers bateaux d'Elbeuf chargés de pèlerins les débarquent sur le quai du petit-Andely.
Ces étages vivants , ces gradins où se pressent les hauts bonnets , et les chapeaux de feutre des roumois  s'agitent et descendent sur le rivage . C'est de huit à neuf heures seulement qu'arrivera le bateau de Louviers.
A sept heures , on découvre le bateau de Oissel , renommé pour porter les plus pieux des voyageurs .Aussi dès qu'ils passent sous les murs du magnifique hôpital Saint-jacques , monument dû à la charité du Duc de Penthièvre , ils entonnent ensemble le veni creator…..
L'énorme barque glisse légèrement sur l'onde argentée , et la bannière blanche où brille l'image de la sainte ,plane du haut du mât , au milieu de la nouvelle verdure de l'île , où Richard Cœur de lion construisît son château de guerre.
Non loin de ce château -Gaillard , autre ouvrage du roi troubadour , silencieux témoin des souffrances d'une femme , près de ce théatre immense de nobles faits d'armes , qui redît encore les noms de Richard et de Philippe-Auguste , de Blanche et de Marguerite de Bourgogne , s'étend une grève ordinairement solitaire .
Là , descendent avec une joyeuse espérance , des mères chargées d'enfants débiles , à qui l'eau de la sainte doit rendre la force et la santé . Là , se traînent , aidés de leurs fils , et plus souvent de leurs filles des vieillards courbés par le travail des champs .
La plupart vont d'abord s'agenouiller à l'autel du benoît saint Léonard , dans l'église du Petit -Andely , dont aucun ne songe à admirer l'élègante architecture .
Les autres se rendent , en longeant la prairie , à la grande église , autrefois la collégiale , fondée par l'épouse de Clovis , au centre de la vieille ville ,au commencement du VI ème siècle .

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